Préface de Pierre Bellanger pour «Marketing 2.0 : l'intelligence collective», par François Laurent (Editions M21)
La société médiévale est un ordre social pyramidal, verticalisé dans sa construction et asymétrique dans ses relations descendantes. L'action est réservée aux nobles et religieux qui seuls méritent l'inscription dans l'Histoire ; l'autorité provient de Dieu et se délègue tout au long d'une hiérarchie immuable qui cherche à maintenir ainsi le respect de son autorité. La fortune, la connaissance, le pouvoir, les voies d'échange, les moyens et les avantages appartiennent, par privilège divin, à quelques-uns dans l'éternité d'un monde immobile.
La fin du Moyen-Âge est caractérisée par un mutation des valeurs et des perspectives. La société médiévale fondée sur une transcendance divine cède la place à un monde nouveau qui instaure l'autonomie des individus, devenus acteurs, et qui de leur propre chef se lient entre eux en fonction de leurs intérêts privés. La verticalité solide bascule dans l'horizontalité liquide de la liberté individuelle.
Le philosophe Eric Voegelin a admirablement décrit cette transition révélant le centre de gravité métaphysique du monde traditionnel ; l'historien Christian Laval dans son ouvrage « L'homme économique » remonte aux racines et développe les conséquences de cette révolution libérale. Deux catalyseurs accroissent encore la portée de cette explosion : la monnaie et le droit ; tous deux garantis désormais par une construction nouvelle : l'Etat.
Revenons aux médias traditionnels : c'est un monde médiéval en miniature : rares, chers, verticaux, propriétés du petit nombre et issus d'une histoire qui plonge dans le fonds des âges pour créer des positions séculaires. Le monde analogique, l'âge des canaux, est cette mosaïque de principautés étanches qui bataillent, s'allient ou se dévorent devant nos yeux ébahis.
Le réseau électronique conjugue les effets de l'imprimerie et de l'instruction publique : l'émancipation individuelle et collective par la possibilité pour chacun de publier et pour tous de lire. La culture devient participative, chacun à son mot à dire avec autant de pouvoir que le roi.
L'Internet est cette libéralisation de la communication : la seconde sortie du Moyen-Âge. Le marketing qui a plaqué sa modernité sur ce monde traditionnel va devoir désormais affronter la modernité du réseau. Après avoir incarné pendant tant d'années la frange la plus anticipatrice du marché, le marketing a la tâche redoutable d'affronter plus moderne que lui.
C'est tout le talent de François Laurent que de relever le défi.