
Synthèse de l'audition de Mr Pierre Bellanger par la mission « Presse et Numérique » du Ministère de la Culture et de la Communication le 10 janvier 2007
Les médias traditionnels sont confrontés à la montée en puissance de l'Internet qui agit d'abord comme un multiplicateur de leurs maux mais certainement aussi demain de leurs qualités.
« Skyrock », première radio de la nouvelle génération, avec près de quatre millions d'auditeurs chaque jour, est un média traditionnel qui s'est « nétamorphosé », c'est-à-dire qu'il a opéré une mutation intégrant le « Net » à sa nature tout en s'intégrant à lui. C'est donc un bon exemple.
Skyrock n'est plus seulement une radio, c'est aujourd'hui une plateforme radio-Internet-mobile. Sur Internet, les sites skyrock.com se placent, en pages vues, au troisième rang en France et sont, sur le même critère, au trente-et-unième rang au niveau mondial. En pages vues, les sites skyrock.com sont la première destination des internautes de 15 à 24 ans en France.
L'ADN de Skyrock, c'est la liberté d'expression, liberté de la musique, liberté de la parole des auditeurs. L'Internet a joué un rôle de multiplicateur de ce fondamental. Aujourd'hui les « skyblogs », le service de journaux personnels publics de Skyrock, sont plus de 6.5 millions et une quinzaine de milliers de nouveaux sont créés chaque jour tandis que quotidiennement environ 1.2 millions d'articles sont publiés. Pour la musique, les « skyblogs music » permettent aux artistes de faire directement découvrir leurs morceaux aux internautes, plus de trente mille morceaux originaux sont aujourd'hui en ligne.
L'identité initiale de la radio est ainsi propulsée à des niveaux inimaginables quelques années auparavant. Cette nouvelle dynamique, résonnante et renforçante, est par ailleurs, d'une redoutable efficacité publicitaire. La plateforme interactive a compté pour un tiers du chiffre d'affaires du groupe en 2006, elle devrait atteindre la moitié cette année.
L'Internet a été considéré par la plupart des médias traditionnels comme un nouveau moyen de diffusion, c'est-à-dire de transmission unilatérale d'un émetteur unique à une audience passive. Ce modèle est celui des médias de masse électroniques du XXe siècle, c'est le modèle de la diffusion.
Internet révolutionne cet âge de la diffusion. Car l'Internet n'est pas seulement un nouveau moyen de diffuser des informations comme l'imprimerie n'est pas seulement un moyen supplémentaire de recopier la Bible.
La puissance d'Internet réside dans le réseau social d'échange électronique qu'il permet : en un mot, la force d'Internet c'est la conversation. Le XXe siècle a été l'âge de la diffusion, le XXIe est l'âge de la conversation.
La radio dans cette dynamique devient l'agrégateur d'une audience qui, d'un nuage de points anonymes, se mue en un réseau social en conversation permanente.
Le modèle vertical de l'émetteur unique rayonnant à destination de récepteurs multiples et muets évolue en un modèle horizontal d'un maillage d'émetteurs-récepteurs qui se superpose au modèle initial.
Dans ce nouvel écosystème, la radio demeure centrale, rentable et moderne. Considérer que la radio telle qu'on la connaît est remplacée par l'Internet est aussi limité que de considérer que l'Internet ne sert qu'à diffuser de la radio. D'ailleurs la radio change de sens et devient tout autant le programme que le réseau communiquant de son audience.
Comment cette révolution se transpose-t-elle à la Presse ?
Quel est aujourd'hui dans ce contexte le principal actif d'un titre de Presse ? Ni sa marque, ni son équipe, ni son audience mais l'intelligence de ses lectrices et lecteurs. Un quotidien financier anglo-saxon, par exemple, peut disposer, sans le savoir, du plus incroyable capital intellectuel : l'expertise et l'expérience au meilleur niveau de ses lecteurs. L'Internet est le levier qui permet de mettre ce capital au travail au bénéfice de tous.
L'Internet conversationnel à l'initiative d'un média permet de transformer l'audience du média en média.
Il a été dit qu'un lecteur en ligne rapporte dix fois moins qu'un lecteur papier. Il est démontré aussi qu'une source initiale peut générer vingt fois son audience primaire en prolongement conversationnel et communautaire. Telle est la nouvelle équation de la Presse.
Un article occasionne des commentaires, ces commentaires renvoient à des échanges ou des publications entre les lecteurs. L'éditeur communautaire fédère et pilote l'agencement de ces initiatives pour en maximiser l'efficacité pour les lecteurs.
Le titre de Presse est le fédérateur et l'attracteur d'une typologie d'intelligences qui prendront plaisir à échanger et à se relier entre elles. Les annonceurs ne recherchent plus seulement la captation d'attention mais bénéficient de l'engagement participatif du réseau.
Cette mutation se heurte à toutes sortes de difficultés. Tout d'abord, elle créé une sorte de « trou d'air » entre deux modèles. Ce trou d'air est vécu par les meilleurs comme une absence de croissance, pour tous c'est une transition difficile. Les marchés boursiers sont les premiers à sanctionner ce passage et les efforts financiers qu'il implique. Les dirigeants souvent mandatés sur de courtes périodes et jugés sur leurs résultats immédiats tardent à se lancer dans l'aventure. Les structures en place résistent de surcroît au changement. De plus, la compréhension et la mise en ½uvre du processus n'est pas évidente et les compétences et talents en la matière sont rares.
Enfin, cette évolution ne doit pas soudain dévaloriser les extraordinaires entreprises de presse actuelle qui répondent aux besoins du grand nombre et sont la source de revenus et de rendements consistants et qui, par ailleurs, portent leur propre potentiel d'innovation. Si l'Internet est un multiplicateur, raison de plus de ne pas négliger le multiplié.
Le rôle des pouvoirs publics est de reconnaître et d'exprimer cette mutation en cours. Quelles que soient les résistances, les règlements et les man½uvres de retardement, la transition aura lieu. La seule différence sera : qui sera sur la ligne d'arrivée et dans quel état ? Outre la prise de conscience tant de l'opportunité que du trou d'air, les pouvoirs publics devraient accompagner le changement plutôt que de répondre par des subventions palliatives destinées à maintenir les situations en place. Cela coûtera de plus en plus cher de faire vivre sous perfusion les modèles économiques du siècle dernier.
La Presse écrite est d'abord un effort généreux vers les autres, un effort pour rassembler, partager, divertir, éduquer, éclairer. Cette aspiration est supérieure à ses moyens de réalisation passés, tels le papier et l'imprimerie qui demeureront mais qui ne sont pas une fin en soi ; aujourd'hui cet effort vers les autres devient un effort avec les autres, n'est-ce-pas un bel horizon ?