Par Pierre Bellanger, président et fondateur de Skyrock
Le rôle clef de la France dans la révolution tunisienne n'a pas été vu. Il a été masqué par polémiques sur notre diplomatie et par la seule invocation des réseaux sociaux américains.
Chaque jour, pourtant, la nouvelle génération française démontre par Internet aux jeunesses francophones de par le monde que la liberté, le succès, la reconnaissance appartiennent à tous, quelles que soient ses origines, quels que soient les obstacles, et qu'il n'y a pas de fatalité. En direct à la radio - transmise par Internet ou échangée par cassettes - par millions de témoignages sur les blogs, l'expression libre sur la sexualité, les joies, les rires, les soucis, les sentiments, les injustices, le bonheur se font entendre partout. Certains, ici, n'y ont vu que trivialité et vulgarité ; là-bas, c'est en texte et en son, le goût de la liberté.
Les nouvelles générations des deux rives de la Méditerranée ont fusionné voici déjà quelques années pour ne former qu'un seul et même réseau culturel et électronique d'expériences et de sons partagés. La ressemblance générationnelle, identitaire, a propagé, par-dessus les frontières, une expérience démocratique unique. Ce vibrant réseau de jeunes anonymes partageant leurs existences est resté sous le radar. Il a fallu les évènements récents de Tunisie pour en révéler la magnitude.
Cet écosystème souterrain de blogs, de profils, de micro-messages, de musique, de radios, de séries télés, de vidéos, de photos transitant par Internet et téléphones mobiles bruit à l'unisson. Française, algérienne, marocaine ou tunisienne, la nouvelle génération kiffe les mêmes sons de rap et rnb, regarde les mêmes séries, les mêmes matches, écoute sur le web, la libre antenne de Difool et se retrouve sur des dizaines de millions de blogs publiés en français.
Et que disent-ils ? Pas de discours, pas de politique, pas de théorie, mais une immense envie de liberté, de reconnaissance, de s'en sortir, d'avoir son mot à dire sur sa propre vie et de ne laisser personne décider à sa place.
Méprisée souvent en France, discriminée, humiliée, la culture de la nouvelle génération et sa libre expression radio et Internet ont été au Sud, un moteur à suivre, un objectif : être libre. Même si des deux côtés, sans illusion, on partageait des frustrations semblables, des destins bloqués et le chômage.
La connexité du réseau a fondé une nouvelle génération consciente d'elle-même et informée en temps réel. La mixité des origines et des expériences échangées a instauré l'uniculture ouverte et mondialisée de la nouvelle génération francophone. C'est celle-là qui s'est embrasée l'occasion venue en Tunisie ; pour s'étendre ensuite, puisque soudain l'impensable devenait possible. Et chaque fois les écosystèmes électroniques se mettent en mouvement.
Sans nul doute, la nouvelle génération française a contribué à faire tomber le premier domino de ce printemps arabe. Et voici, en retour, que nous revient cette formidable entrée dans la politique d'une jeunesse qu'on disait désintéressée de la chose publique et qui a fait tomber en quelques semaines deux dictateurs.
Qu'en ferons-nous ? Laisserons-nous encore, ici, en France, la nouvelle génération sur le côté, déclassée et ignorée ? N'y a-t-il pas là un vide politique majeur ? Vide comme la place Tahir. Qui, un jour, fut noire de monde.